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développement culturel au (sud du) Maroc


Ces derniers mois, j'ai dû expliquer la situation de la culture contemporaine au Maroc à différentes institutions étrangères, du Moyen-Orient et des États-Unis. Il n'est pas facile car il faut expliquer un contexte aussi complexe et à différents niveaux. 


 

contexte social

L’oasis de Tighmert est considérée comme l’une des trois portes du désert du Sahara (les autres sont M’hamid El Ghizlane et Rissani), située à 15 km de Guelmim, la capitale de la région Guelmim-Oued Noun, au sud du Maroc. Une région avec une faible densité de villes, de villages et de population et un manque d'infrastructures, notamment dans les oasis; des questions importantes pour comprendre le contexte social. De plus, la complexité de l'organisation sociale dans les régions du sud est un élément clé, dans un mauvais et un bon sens, car tout (quand je veux dire tout, c’est vraiment tout) tourne autour des tribus. L'ignorance de cette réalité de la part des autorités gouvernementales causent pas mal de problèmes et de souffrances à la population locale, en particulier aux jeunes. Malheureusement, ceci est un des principaux problèmes au Maroc, il semble que les autorités ne comprennent pas leur propre pays et comme conséquence, ils ne peuvent pas répondre aux demandes et aux besoins des jeunes. Cependant, lorsqu'on considère les communautés du sud, cela devient plus dangereux, car il faut ajouter le manque de connaissances sur l'histoire, le lieu, la culture et la réalité des Marocains vivant au sud du Haut Atlas.

Le Maroc est un pays très centralisé (malgré le projet de régionalisation installé en 2015) avec un pouvoir divisé entre le roi et le gouvernement et concentré dans les principales villes (Casabalanca, Rabat, Marrakech et Tanger). En dehors de ces zones, rien n’est important, du moins d’un point de vue culturel et social. Si un artiste ne vit pas dans une de ces villes, il n'existe pas pour les médias, pour les autorités et pour les principales institutions culturelles. Cela ne veut pas dire qu'il n'y ait pas de culture dans le sud (ou dans les zones rurales du nord), bien au contraire, il y en a tellement, mais on ne les connaît pas. Lorsqu'elles sont montrées, elles sont considérées comme du folklore plutôt que de la culture, alors qu'elles sont les moyens utilisés par les tribus pour transmettre leurs récits, qui conforment l’histoire du Maroc et même celle de ses voisins (africains et européens). Musique, danse, poésie, architecture, artisanat… montrent des modes de vie uniques pour chaque tribu; Berbères, Arabes, Sahraoui, Juives, Draui... Ce contexte social est un trésor pour un pays, du moins il devrait l'être, mais il faut du temps, des efforts et une attitude pour comprendre la complexité de chaque tribu, les relations entre elles et celle avec les autorités, c’est la raison pour laquelle la gouvernance est l’un des principaux défis à relever pour les autorités nationales et régionales, mais aussi pour les tribus qui devraient s’adapter à la nouvelle organisation régionale, œuvrant pour le bien de tous et pas seulement pour les leurs.

Il y a un autre élément clé pour comprendre le contexte social dans le sud, le désert. Nous ne pouvons pas dissocier le désert de ses sociétés car tout est lié; sociologie, agriculture, architecture, eau, économie, culture, éducation, patrimoine, géographie, géologie, histoire… vous devez tous les comprendre et les considérer pour vraiment appréhender le désert, des questions qui ne sont peut-être pas importantes dans une grande ville en raison de l'environnement urbain qui isole les gens de la nature, mais dans des régions désertiques où les dimensions, dans l'espace et dans le temps, changent radicalement et où il y a même plusieurs "mondes", celui des sédentaires, limités par les oasis (maintenant aussi par des bâtiments en béton) et celui des nomades, limités par les montagnes, les vallées et les plaines. Il n’est pas facile d’expliquer et de comprendre ces relations et en général l’existence de ces «mondes» car la plupart du temps, les personnes qui viennent pour la première fois (touristes mais aussi les autorités du “nord”) peuvent être aveuglés par la beauté de la nature, le paysage, la gentillesse des gens et le romantisme transmis par les films, ainsi que par les préjugés, sans prendre leur temps pour comprendre où ils se trouvent réellement.

 

politiques culturelles

Au Maroc, la plupart des activités culturelles contemporaines sont toujours financées par des institutions étrangères (européennes et arabes) car il n’existe aucune politique culturelle, ni nationale ni régionale. Il n’est pas difficile d’obtenir de l’argent auprès de fondations et d’instituts européens de la culture, mais seulement si vous remplissez certaines conditions; si vous êtes dans une grande ville (Casablanca, Rabat, Marrakech ou Tanger) et si vous savez comment répondre à un appel à candidatures, car malheureusement, la proposition culturelle n’est pas l’aspect le plus important. Vous pouvez avoir développé un projet pendant des années, mais s'il est situé dans un petit village, dans une région éloignée et que vous l'expliquez sans suivre la logique de l'administration, vous n'aurez aucune chance d’être sélectionnés.

Je pense que la politique culturelle européenne est principalement axée sur la diplomatie et la bureaucratie, mais pas vraiment sur la culture. Pendant des décennies, les instituts français et espagnols (fondamentalement) ont développé la culture au Maroc et ils ont été la référence. Selon la personne qui gérait le centre dans chaque ville, la politique culturelle pourrait être imposée avec arrogance ou pourrait être adaptée et intégrée aux besoins de la société locale. De nos jours, la plupart de ces institutions pensent toujours être les seuls acteurs de la culture dans le pays, sans se rendre compte qu'au-delà de leurs mondes, la société marocaine a mis en place tout un réseau de centres culturels indépendants, en dépit des difficultés, donnant lieu à une scène extrêmement intéressante et contemporaine, scène culturelle, qui est complètement inconnue de la diplomatie culturelle européenne, raison pour laquelle leurs appels à candidatures et leurs critères de sélection sont parfois loin de la réalité et dépassés.

En outre, si on se laisse guider par nos amis européens, il sera très dangereux de penser que la culture doit être considérée comme une industrie, car elle ne convient pas au Maroc, où les investissements culturels publics n’existent pas (et s’ils existent, ce n’est que pour des grands événements). L'imposition de ce type d'industrie par les dirigeants peut faire disparaître tout le réseau d'institutions culturelles indépendantes, où la rentabilité économique et la bureaucratisation de la gestion culturelle (appelée professionnalisation du secteur) pourraient prévaloir sur la créativité et l'éducation artistique. Nous devrions faire la différence entre culture et divertissement et nous devrions nous concentrer d’abord sur le développement de la société en utilisant la culture comme outil et en laissant le divertissement établir son propre secteur “industriel”, mais ne l’appelez pas CULTURE.

Le Maroc a la possibilité d'élaborer sa propre politique culturelle où le facteur clé devrait être la culture et non pas uniquement l'économie. Je ne veux pas dire que les activistes et les opérateurs de la culture doivent travailler gratuitement, mais si nous ne tenons compte que des termes commerciaux et économiques, la culture restera présente que dans les grandes villes et les zones rurales et les petites villes continueront à être isolées dans tous les sens. D'autre part, comme le gouvernement central ne connaît pas la réalité du pays, un partenariat entre les gouvernements régionaux et les activistes de la culture est nécessaire (il était très important le travail qui faisait l’association Racines en rassemblant autorités, fonctionnaires et acteurs culturels dans toutes les régions), tout en maintenant plusieurs niveaux d'interaction avec la population; musées, événements (biennales, foires d'art), galeries d'art, centres culturels indépendants, associations… (sans oublier que la véritable création artistique réside dans les petites structures indépendantes plutôt que dans les musées). Le problème se pose lorsqu'il n'y a même pas d'administration culturelle régionale et que les artistes et les activistes doivent respecter leurs engagements vis-à-vis de la société, de leur quartiers ou de leur villages, sans soutien financier jusqu'à ce que les gouvernements régionaux fonctionnent pleinement. Nous pouvons nous plaindre de l'absence de politique culturelle, mais nous ne pouvons pas abandonner les jeunes, pas en ces temps qui courent.

 

être un artiste au Maroc

L'une des discussions les plus courantes parmi les artistes contemporains au Maroc est la difficulté de se gagner la vie en faisant de l’art, ce qui amène de nombreux artistes à abandonner l'idée de commencer, ou de poursuivre, leur propre carrière artistique. Il est vrai que le manque de politiques culturelles ou le désintérêt (supposé) de la société pour les cultures contemporaines sont des obstacles difficiles à surmonter, néanmoins, je pense qu’il existe d’autres problèmes sous-jacents auxquels les artistes marocains sont confrontés et qui dépendent de leur positionnement par rapport à la société dans laquelle ils vivent, une société sujette à de multiples contradictions, tout comme les artistes. Ils doivent résoudre leurs propres dilemmes, traumatismes, pressions, contradictions, rêves… et en même temps, ils doivent créer de l’art et gagner de l'argent pour survivre. Peu de gens réalisent qu’ils doivent d’abord se lancer dans une quête sur leur identité, en tant que citoyens, en tant qu’artistes et en tant que personnes, parfois c’est une recherche pénible, même incompréhensible de la part de leur famille, de leurs amis et de leurs collègues, mais cette quête peut fournir des outils et des indices multiples et inattendus pour développer leurs œuvres en tant qu’artistes vivant et travaillant en Afrique du Nord.

Religion-laïcité, tradition-contemporanéité, jeunesse-vieillesse, individu-collectif, vie privée-publique, autorités-peuple, répression-liberté, Europe-Afrique, Sud-Nord, immigration-émigration, Arabes-Berbères, villes-villages, enracinement- déracinement, culture-folklore…

Ces sont quelques-uns des sujets auxquels les artistes doivent faire face tous les jours, parfois tous en même temps, c’est pourquoi il est difficile, très difficile d’être artiste au Maroc; mais ceci pourrait être aussi excitant de nous découvrir nous-mêmes, en tant qu’individus et en tant que communauté, de partager nos recherches avec les autres, d’aider ceux qui ne doutent jamais de rien, de continuer à progresser, de rendre nos sociétés plus contemporaines. Pour atteindre cet objectif, je me demande toujours si avons-nous vraiment besoin d'une politique culturelle? Au moins comme cela est compris dans des nombreux pays. Peut-être qu'une autre stratégie est possible…


Ceuta, 8 octobre 2019

Carlos Perez Marin


Voici quelques réflexions après mon expérience en tant que co-organisateur de Caravane Tighmert et Sakhra, dans les zones rurales de Tighmert (Guelmim) et Moulay Bouchra Al Khamar (Taounate)

Crédits images: Carlos Perez Marin